Anthropos
99.2004: 353-363
A l’unisson des tambours
Note sur l’ordre social et la chasse aux têtes parmi les Wa de Chine
Bernard Formoso
Abstract. - This article examines, with reference to myths and
narratives from the Wa of Xuelin (Yunnan), the symbolism
°f the great rituals of regeneration of life, which were linked
to head-hunting up to the 1960s. During these rituals male
representatives of each clan came together to beat a pair of
sexed drums carved out of tree trunks. The ceremony expressed
a n ideology of the “organic unity’’ which rendered many advan
tages in the agonistic context of head-hunting. This article tries
to suggest parallels with the Naga of Assam who betray relevant
similarities with the Wa concerning head-hunting, a social
0r ganization based on exogamous patrilineal clans, a habitat
reade of big villages, the practice of shifting cultivation on
burnt ground, the beating of drums carved out of tree trunks
°n occasions of major agrarian rites and other aspects. [China,
b' 7 «, head-hunting, rituals of regeneration of life]
Bernard Formoso, Professeur au département d’ethnologie de
* université Paris X - Nanterre. Il a conduit de nombreuses re
cherches en Thaïlande, Laos, Vietnam et sud de la Chine depuis
*^84. Ses principaux centres d’intérêt sont le syncrétisme reli
re 11 * et les phénomènes identitaires. Il est l’auteur de plusieurs
lv res et articles sur ces sujets.
^ es groupes ayant par le passé pratiqué la chasse
aux têtes ne sont pas les seuls à se signaler par l’u-
Sa §e rituel de tambours monoxyles, creusés dans
an grand tronc d’arbre évidé. D’autre part, toutes
es sociétés de ce type n’ont pas nécessairement re-
c ° u rs à de pareils objets, quoique dans le contexte
Viatique elles accompagnent sans exception l’ac
uité de chasse aux têtes de la percussion de
arr *bours de forme et de matériaux variés, ou bien
e gongs.
P A l’échelle plus spécifique de l’Asie du Sud-
^ continentale, deux ensembles socio-culturels,
^graphiquement proches, quoique sans contacts
interethniques avérés - les Naga de l’Assam (nord-
est de l’Inde) et les Wa des confins du Myanmar
et de la R. P. de Chine - se rejoignent dans l’u
sage de ces monoxyles. 1 Une rapide comparaison
de ces deux ensembles témoigne par ailleurs de
nombreuses analogies. Dans les deux cas, en effet,
on est en présence de sociétés organisées en
lignages patrilinéaires exogames, avec une amorce
de hiérarchie entre ces unités sociales, puisque
certaines jouissent de prérogatives politiques et/ou
religieuses particulières (lignages dans lesquels se
recrutent de préférence les chefs par exemple).
De plus, la pression démographique est forte; 2 les
membres des deux groupes vivent au sein de gros
villages fortifiés et, sur le plan techno-économique,
se signalent par la pratique dominante de l’essar
tage, quoique la riziculture humide soit développée
partout où la géographie le permet. Dans les deux
1 Dans le cas des Naga, voir Mills (1922: xxiii); Fürer-Hai-
mendorf (1939: 102; 1969:25 s.); dans le cas des Wa,
la première mention de ces tambours remonte à Scott et
Hardiman (1900: 502).
2 Même si la réalité infirme largement les affirmations pu
rement livresques de J. Friedman (1975:87 s.), pour qui
la forêt aurait disparu de l’horizon des Wa et les villages
de ceux-ci présenteraient des concentrations extrêmes de
500 à 700 maisons. A vrai dire, en R. P. de Chine où la
déforestation est pourtant extrême, les régions de peuple
ment Wa présentent encore de nombreux îlots de verdure
qui ne sont pas moins importants que ceux des autres popu
lations vivant au Yunnan. D’autre part, les agglomérations
de 500 maisons ou plus sont chez les Wa l’exception à
défaut d’être la règle, la taille moyenne des villages étant
plutôt de l’ordre de 200 habitations.