Indications pratiques pour faire des observ. en matière relig. chez les peuples incultes. 19 
le leur dira. C’est le vrai moyen de ne rien apprendre du tout. On n’aboutit 
qu’à susciter entr’eux des contestations qui n’ont rien de commun avec les 
savantes discussions des académiciens d’Europe. 
J’étais un jour tout heureux d’avoir fait, après de longues recherches, 
une petite trouvaille qui m’intéressait beaucoup: j’avais trouvé qu’une peu 
plade, les Bena Kanioka, dont la mission de Lulnebourg comprenait environ 
deux cents membres, comptait les lunaisons et leur appliquait à chacune un 
nom spécial. J’en fis part à mon confrère plus ancien que moi en Afrique; 
il eut quelque peine à me croire; mais pour en avoir le cœur net, séance 
tenante il convoqua une dizaine des principaux de cette peuplade et se mit 
à les questionner. Etonnés, ils convinrent d’assez mauvais gré de ce fait qu’ils 
comptaient et dénommaient les lunaisons; mais au moment où il voulut con 
trôler l’exactitude de la liste des lunaisons dans l’ordre où elles se suivent, 
le désaccord le plus complet se fit jour, et il fut impossible de rien obtenir 
de certain. Il a fallu tout simplement attendre que l’expérience vînt confirmer 
l’exactitude des renseignements que j’avais recueillis. 
Des déconvenues de ce genre il serait aisé de multiplier les exemples. 
11 me reste à vous signaler une autre manière d’interroger le Noir. 11 
s agit du secours que l’on peut trouver dans l’intermédiaire d’un Noir qui 
sait lire et écrire. Mais pour l’employer utilement, il faut, au préalable, qu’il 
soit bien dressé à n’écrire que ce qu’il entend dire aux autres, et à reproduire 
fidèlement les termes et les expressions employés par ceux qu’il a interrogés. 
Il est prudent de ne pas lui faire écrire ce qu’il sait de son propre fonds: 
car, ayant déjà subi l’influence de l’Européen chrétien, il ne reproduirait pas 
adéquatement ce qu’il a appris de l’indigène inculte. 
Un moyen pratique d’arriver à le faire enregistrer fidèlement ce qu’il 
entend, consiste à le faire relever d’abord de petits contes, des légendes, les 
paroles des chants. Une fois qu’il sera dressé à cet exercice et en aura acquis 
l’habitude, il saisira plus facilement le but que vous voulez atteindre, et 
écrira dans la suite à votre entière satisfaction. 
Si l’on est assez heureux pour mettre la main sur un intermédiaire fidèle, 
on dispose d’un moyen d’investigation de première valeur: d’abord, parce que 
cet intermédiaire a beaucoup plus de facilités à recevoir certaines confidences, 
et ensuite, parce que les matériaux qu’il vous fournira seront tout-à-fait sûrs. 
Par les textes que l’on acquiert ainsi, on peut arriver à collectionner 
une documentation abondante sur tous les usages, qu’il est facile d’étudier à 
tête reposée, et de compléter. J’estime que, avec un peu de bonne volonté et 
de persévérance, un missionnaire peut facilement arriver à dresser plusieurs 
Noirs à ce rôle d’investigateurs, et à les faire travailler, indépendamment 
les uns des autres, sur différents points de sa chrétienté. Mais, en cette méthode 
comme dans l’autre, il faut toujours soumettre à un nouveau contrôle les 
données obtenues, et celà pour le motif donné plus haut que: le Noir n’a 
jamais cherché à codifier ses usages et ses croyances. 
Aussi chaque document écrit que vous recevrez, portera des lacunes; 
quelquefois il y aura manque de suite et d’enchaînement dans l’exposé des 
faits, il y aura des oublis, il y aura peut-être des contradictions. Vous serez