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Wolfgang Zimmer
Anthropos 89.1994
On y trouve des conseils d’orientation dans la
vie professionnelle (Bagbila 1988: 13), sociale et
privée (Konaté 1988: 3), par exemple pour inciter
les citoyens à chasser leur tyran (Palenfo 1970: 7),
un moyen didactique pour inviter les enfants à
la persévérance: “quand on a saisi le serpent par
la queue, on doit aller jusqu’à la tête”, 23 et pour
enseigner prudence et méfiance: “Il ne faut pas
que celui qui va chercher l’eau au puits ait soif’
(Guingané 1986: 50) - une combinaison de fonc
tion pédagogique et d’avertissement. Une fonction
d’argument (Amuzu 1975: 2), d’excuse pour sa
progéniture: “Comme le disaient nos grands-pères,
on met au monde un enfant, mais on ne choi
sit pas son caractère” (Atelier Théâtre Burkina
bè 1988c: 66). Ils servent d’avertissement: “Si
l’âne veut te terrasser, tu ne vois pas ses oreilles”
(Bagbila 1988: 9; - cf. l’original de ce proverbe
mossi in Bougma 1987: 16), de guide pratique
sous forme de conseil à un jeune marié (Atelier
Théâtre Burkinabè 1988c: 67), de guide moral en
souvenir d’Horace et de l’éthique des Mossi (Pa
lenfo 1970: 14), d’aide à l’orientation (Sawadogo
1982: 14). On consulte le trésor proverbial comme
on va chez le féticheur (Sowié 1983: 44), comme
un manuel de savoir-vivre (Hama 1978: 6; - cf.
Doumon 1986: 305) ou pour compenser le manque
d’expérience personnelle (Sowié 1983: 62). On
en tire tout ce que l’on veut: des principes-direc
teurs, 24 des conseils de sagesse pratique et empi
rique 25 des raisons à la résignation: “A blanchir
la tête d’un nègre, on perd son savon”, 26 et même
des conseils pratiques - voilés, bien entendu - pour
séduire une fille: “Il ne faut pas enterrer le mort
et laisser les pieds dehors”, ce qui signifie qu’il ne
faut pas faire les choses à moitié (Atelier Théâtre
Burkinabè 1988d: 36). 27
23 Dabiré Kpiellé 1966: 19; - cf. mon interprétation de ce
passage in: “Dictionnaire ...” 1983: 519 s.
24 Konaté 1988: 30. D’autres exemples de proverbes dans
cette fonction “de boussole dans la vie” observés dans la
vie de tous les jours, cf. Gastines 1976: 30 s.
25 Par exemple: Palenfo s. d.: 2: “Mais un proverbe dit que
lorsqu’on tombe d’un arbre, on n’a pas le choix des bran
ches”; Konaté 1988: 29: “A force de fouiller dans les tas
d’ordures, la poule finit par rencontrer les os de sa grand-
mère”; Zida 1984: 2: “Ne rêvons pas trop car il ne faut
jamais vendre la peau du loup sans l’avoir tué.”
26 Amuzu 1976a: 7; - cf. Rey et Chantreau 1982: 630: “A vou
loir blanchir la tête d’un nègre, on perd sa lessive”, et 1982:
551: “A laver (blanchir) la tête d’un âne, on y perd sa
lessive.”
27 Proverbe mossi: Med ka mumidi kuum n basa a naaré yiiga
yé (cf. Bougma 1987: 35).
3.
Un proverbe mossi dit qu’“on peut difficilement
demander des comptes si l’on n’a pas été nom
mément indexé” (Miel s. d.: 29), ce qui explique
un peu l’utilisation des proverbes du troisième
groupe, celui de la fonction socio-psychologique.
Ces proverbes permettent de critiquer ou de faire
passer un message désagréable tout en respec
tant les règles de la discrétion, sans blesser, et
en permettant à la personne visée de sauver la
face. De toutes façons, les règles de politesse de
nombreuses ethnies en Afrique interdisent de s’a
dresser trop directement à l’interlocuteur. Celui qui
utilise un proverbe met en même temps de son
côté l’autorité de la société et peut - grâce à l’as
pect indirect et non personnel du proverbe - dire
son opinion en toute sécurité. J. Raymond (1956:
154) parle des proverbes comme de soupapes so
ciales de sécurité (“social safety valves”) permet
tant d’émettre des jugements ou des opinions qui
seraient considérés autrement comme trop directs
et, donc, blessants. Nous avons déjà rencontré dans
les exemples des filles-mères (Hama 1987a: 15;
Sawadogo 1982: 6; Thiombiano 1974: 2) cette
atténuation de la critique par le langage indirect
ainsi que les effets de dépersonnalisation et de
distanciation qui l’accompagnent. En voici encore
deux illustrations:
A un polygame qui a pris la fiancée de son fils
comme troisième épouse, et qui vient se plaindre
auprès du chef qu’elle s’est enfuie, celui-ci répond
par ce proverbe mossi qui lui permet de respec
ter les bienséances: “On peut obliger un chien à
se coucher; mais on ne peut l’obliger à fermer
les yeux” (Amuzu 19767?: 9; - cf. Miel s. d.: 27
et 35; Tiendrébéogo 1963: 193 pour le proverbe
mossi original). Et le ministre dit à sa fiancée
qui entretient une “dangereuse sympathie ... avec
un groupuscule dit communiste”: “Vois-tu, lorsque
Ton coupe le tronc d’un arbre, les branches n’y
échappent pas” (Ouédraogo 1988: 45 s.). Mais elle
n’apprécie guère cette façon de parler allusive:
“A-t-on besoin de peindre les yeux et la nature du
chat, avant de préciser qu’il s’agit d’un chat? Mon
humble personne ne trouve pas cette gymnastique
nécessaire. Dis clairement de quoi il s’agit” (46).
La même critique est faite au griot dans la pièce de
Bazié (1988: 16). On lui reproche, à cause de son
langage indirect et trop général, de “nous vendre
l’or des paroles” (cf. Bazié in Zimmer 1993: 465,
n. 13).
Dans la même fonction, mais dans un autre
contexte, on utilise une série de proverbes et de
locutions lorsqu’il s’agit d’aborder un sujet un peu