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Wolfgang Zimmer
Anthropos 89.1994
ment recours aux proverbes, non pour y chercher
consolation ou thérapie, ni pour orienter leurs ac
tions, mais pour mieux persuader leurs électeurs.
Les fonctions dans ces proverbes sont les mêmes
que celles que nous avons déjà rencontrées, mais
ils sont utilisés ici dans une perspective de propa
gande, les proverbes et locutions créés à dessein
dans ce contexte sont courants. L’empereur, juste
avant la révolution qui va provoquer sa chute,
pense au discours qu’il veut faire à la masse: “Il
doit y avoir quelque chose de paternel, d’intime et
de dramatique à la fois. Je saurai combler tous ces
gens de promesses et d’espoir. Celui qui espère
manger est déjà à moitié rassasié” (Ouédraogo
1977: 56).
Et ceux qui dans la rue préparent la révolution
créent leurs propres proverbes contre le pouvoir
en place, contre l’exploitation du peuple: “L’i
gnorance a toujours été le fumier où croît l’ex
ploitation” (Ouédraogo 1977: 47). Dans la bou
che d’hommes politiques de tous bords on trouve
des discours qui veulent s’appuyer sur la sagesse
ancestrale des proverbes, mais ceux-ci portent la
marque d’une facture récente: Quelqu’un veut ici
convaincre son interlocuteur qu’il faut éliminer
les dirigeants du parti communiste: “Lorsqu’un
arbre porte de mauvais fruits, l’on ne doit pas
s’en prendre à l’arbre tout entier. L’on ne doit
pas non plus s’en prendre à la branche à laquelle
ils appartiennent. Non! on détruit uniquement les
mauvais fruits” (Ouédraogo 1988: 55).
Il s’agit ici plutôt d’un coupage proverbieux que
d’un vrai proverbe (un autre exemple: Ouédraogo
1988: 86; v. note 16).
Les dirigeants historiques utilisent également
des proverbes ou des simili-proverbes de leur pro
pre invention: “Qu’il sache que même revêtu d’un
boubou magique, le poussin n’ira pas en consul
tation chez l’épervier” dit Amoro pour intimider
un sofa, émissaire de Samori (Bazié 1988: 13). Ce
dernier réplique: “Il faut que ces sauriens sachent
que le margouillat ne sera jamais le petit-frère du
caïman” (ibid.). Dans une des pièces, avant les
élections, le candidat d’un parti politique utilise
un vrai proverbe 31 : “D’ailleurs, nos Ancêtres ne
disaient-ils pas que ‘la culotte d’aujourd’hui vaut
mieux que le pantalon de demain’? Et, ma foi, ils
n’avaient vraiment pas tort” (Da 1979: 13), ajoute-
t-il, car il s’est rendu compte que son cadeau élec
toral aurait dû être plus important qu’il n’a été,
et il utilise ce proverbe mossi pour tranquilliser
31 Cf. Bougma 1987: 28: “Ruunda béenta saon béogo kouri-
ga”; Miel s. d.: 21, 28 et 40.
ses électeurs potentiels. Mais “Le peuple n’est pas
dupe”, comme dit le titre de la pièce, car on lui
répond: “ ‘Ventre affamé n’a point d’oreilles’, dit
un proverbe de chez nous” (Da 1979: 14; - cf.
Loubens 1889: 281; Doumon 1986: 338).
Evidemment, le proverbe est également utilisé
par les militants de la révolution burkinabè telle
qu’elle paraît à travers le théâtre: dans le contexte
de la campagne d’alphabétisation pour illustrer les
avantages de l’écriture, on peut entendre “Je dis
que l’adage qui affirme ‘que la parole est inu
tile’ n’est valable que chez le muet” (Sawadogo
1983: 89), allusion évidente à un proverbe mossi
(cf. Miel s.d.: 36; Tiendrébéogo 1963: 168); et
lors d’un séjour de sensibilisation au village on
souligne que les militants doivent agir en modèles
dans la révolution: “Ecoute Jean, un adage de chez
nous dit que ‘c’est en voyant la calebasse propre
de son camarade, que l’enfant jaloux agira pour
en avoir de même’, ces confrontations m’ont con
vaincu d’agir de même, au profit de mon village”
(Sawadogo 1983: 102).
6.
Le sixième groupe est constitué par les proverbes
à fonction émancipatoire. Puisés tels quels dans la
tradition, ils sont utilisés au service de ce qu’on
appelle le développement - nous en avons vu des
exemples dans le paragraphe consacré au discours
politique propageant les campagnes d’alphabétisa
tion 32 ou d’hygiène. 33 En voici un exemple particu
lièrement intéressant parce que reliant la fonction
émancipatoire à la fonction dramaturgique: le chef
de village commente l’apparition d’une épidémie
en ces termes: “Oui femme, je comprends ta dou
leur, mais comme le disaient nos ancêtres, ‘l’eau
pure ne pourrit jamais’. Quelqu’un d’entre nous a
dû commettre une faute grave.” 34 *
Mais cette explication s’avère beaucoup plus
juste qu’il ne croit: ce proverbe cité dans le sens
traditionnel (chaque mort a des raisons cachées
qui s’expliquent, il suffit de chercher le coupable)
révèle en fait la véritable cause de l’épidémie:
l’eau polluée et le manque d’hygiène. D’autres
enseignent déjà l’adaptation aux changements dans
leur forme traditionnelle: “Vous ne vous rendez pas
32 Sawadogo 1983: 89: “Je dis que l’adage qui affirme que la
parole est inutile n’est valable que chez le muet” (cf. Miel
s. d.: 36 et Tiendrébéogo 1963: 168).
33 Sawadogo 1983: 102 et Konaté 1988: 32.
34 Atelier Théâtre Burkinabè 1988a: 96. Il s’agit d’un pro
verbe lamang qui figure in Wolff 1980: 48.