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P. Tatevin, C. Sp. S.,
suivant leur sexe, mais qu’il gagnent bien par leur travail; pour avoir aussi
toujours du café sucré à offrir à ses visiteurs, du sel pour saler son pirarucu
(grand poisson de 2 à 3 m de long qui forme avec la tortue et la farine de
manioc le fond de la nourriture dans les fleuves de l’Amazonie), du tafia pour
se soûler les jours de fête au moins, une hache ou deux, quelques sabres
d’abattis, des assiettes blanches, des tasses pour les visiteurs l’un ou l’autre
ustensile de cuisine en fer, un fusil et bien d’autres choses que nous sommes
accoutumés à considérer comme nécessaires, et dont l’Indien se passe aisé
ment. Cette nécessité de travailler tous les jours décide plus d’un Indien à
rentrer dans sa tribu, après avoir goûté les prétendues douceurs de la civili
sation. Le plaisir pour ceux-là ne vaut pas la peine qu’il coûte.
Les aliments étant restés les mêmes: poisson, tortue, farine de manioc,
et de loin en loin un singe, un tapir, un lamantin, un agouti, un crapaud,
la cuisine et ses ustensiles ont aussi peu varié.
Aussi rien n’est si facile en général que l’assimilation de l’Indien par le
cabocle. Il n’a qu’à se faire baptiser, et à vêtir un pantalon et une chemise.
On ne le reconnaîtra plus qu’à sa façon de parler le portugais, qu’il n’arrive
jamais à bien prononcer, même à la mode du Brésil.
J’invite ici les lecteurs à faire une visite à l’un de ces cabocles et à
visiter sa demeure de fond en comble. Si la demeure est un peu loin, il nous
faudra nous rendre en canot car par terre il n’y a point de chemin, il nous
faudrait aller un sabre d’abattis à la main pour nous frayer un chemin à travers
les plantes épineuses et les lianes de la forêt vierge, sans conter que nous
pourrions trouver en chemin plus d’un ruisseau infranchissable. Nous irons
donc en canot à moins que la maison ne soit très près, et qu’aucun ruisseau
ne nous sépare, car alors ¡es besoins du bon voisinage auront fait qu’un étroit
sentier de la forêt fait le trait d’union entre nos maisons. Notre canot, ngara
ou ngarite, petit ou grand suivant la longueur du chemin, est formé d’un
tronc d’arbre creusé et ouvert au feu, aux bords relevés par une ou deux
planches de chaque côté. Notre rame est une pagaie, sorte de pelle en bois
(i apokoitawa: le mot pagaie vient peut-être de là). Nous y voici. Si la femme
est au port, lavant son linge, nous la trouvons dans son canot ou sur un
tronc d’arbre, uniquement vêtue d’une robe spéciale: jupe en bas, écharpe en
haut, couvrant le seins et laissant les bras libres et nus. Si elle n’y est pas,
nous frapperons dans nos mains pour l’avertir de notre présence. Elle courra
chercher sa chemisette, ou un morceau d’étoffe quelconque pour se couvrir
les seins, car quand elle est seule elle travaille le torse nu. «Que ton matin
soit heureux!» «Le tien de même.» «Asseyez-vous ou balancez-vous!» On
s’assied sur un banc ou dans le hamac. «Quoi de nouveau?» «Rien.» C’est
l’introduction nécessaire à toute conversation. Après viendront les questions
de santé, les nouvelles de la famille et du voisinage, et enfin, en dernier
lieu, l’objet de la visite. Pendant ce temps on prépare le café ou l’on vous
offre des fruits du bois. Souvent nous pourrons échapper à ce cérémonial, car
le mari est à la pêche et la femme au champ dans la forêt avec ses enfants,
ou bien les deux sont au champ, ce qui est plus rare. Comme il n’y a aucune
porte, nous pouvons entrer quand même, la visite sera d’autant plus facile.