Etudes d’Ethnographie Toba-Pilaga (Gran Chaco).
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de nouvel an» selon la forte expression d’un poblador. Jamais certains aspects
de la colonisation du Chaco ne m’ont inspiré plus de dégoût que dans cette
période où j’assistais impuissant à l’agonie d’une belle et noble race. Le
cacique Carcete, dont la tribu avait été fort éprouvée, abandonna son campe
ment près de Salto Palmar, après y avoir enterré une trentaine de jeunes gens,
toute l’élite de sa tribu. Guidé par deux officiers allemands, qui vivaient dans
la région et entretenaient avec Garcete des rapports amicaux, je fus visiter
ce cimetière. On voyait partout de la terre fraîchement remuée recouverte de
troncs de palmiers et de vêtements. Je fis ouvrir une fosse: le mort y était
étendu sans mobilier funéraire d’aucune sorte.
A la mort de son mari, la femme se coupe les cheveux et s’enferme chez
elle. «Quand le mari est mort, les autres disent qu’il lui faut se cacher pour
qu’on ne la voie pas». «Si d’autres hommes te voient», lui répètent-ils, «ils vont
te vouloir». Si une femme refuse de se dissimuler, ils l’accusent d’agir comme
une insensée, poussée par le désir d’un autre homme. La femme qui aimait
son marie, se cache toujours. La veuve peut se remarier deux mois après la mort
de son époux. Quelques femmes n’attendent que deux ou trois semaines, mais,
ce faisant, encourent le courroux de la famille du défunt. La veuve est tenue
d’épouser le frère du mari défunt ou à son défaut son cousin. Il n’est pas rare
qu’un homme dont le fils est mort, recueille sa bru chez lui et l’épouse quelque
temps après. Si la femme refusait, l’âme du mari irritée chercherait à la faire
périr. Le mort surveille en effet jalousement la conduite de sa femme; si elle
n’observe pas le deuil et a des relations intimes avec un autre homme, l’esprit
se venge: il frappe ou blesse d’un coup de couteau l’individu qu’il rencontre
avec elle.
La veuve doit s’abstenir de poisson jusqu’à ce que son beau-père ou son
beau-frère l’autorisent à en manger à nouveau. Si elle fait fi de cet interdit,
elle aura mal à l’estomac et toute la famille maigrira.
Le mari à la mort de sa femme se coupe les cheveux, mais cette pratique
n’a pour lui aucun caractère impératif.
Pour la mort d’un enfant les parents se tondent et s’abstiennent de
poisson. La mère reste enfermée un jour entier «pour penser à son petit».
Un homme dont le père, la mère, l’oncle paternel ou le grand-père est
décédé, se rase la tête et ne mange ni poisson ni pécari, ni chevreuil. Le tabou
du poisson dure au moins deux ans, ceux qui le prolongent une troisième année
acquièrent la réputation de fils dévoués. Si l’on songe que la principale
ressource alimentaire des Toba, celle dont ils sont le plus friand, est le poisson,
on comprendra toute l’étendue de leur sacrifice. Les femmes sont tenues de
respecter ces tabous avec plus d’exactitude que les hommes 6 .
A ce propos, mon informateur Kedok me raconta que lorsqu’il perdit
ses deux fils, il continua à manger du poisson en dépit de la coutume. Il me
fit remarquer qu’il en éprouva aucun malaise «ni au cœur ni au poumon».
(î Selon Kedok, le frère et la sœur du mort seraient autorisés à manger du
poisson. Le renseignement me paraît faux, de même que le motif donné pour expliquer
la rigueur du tabou imposé aux femmes: «Elles ne sont pas du même sang.»
Anthropos XXXII. 1937. 3