Anthropos 79. 1984: 129-143
Origine et fonction humanisante de la mort
selon les Mwaba (Togo du nord)
Albert de Surgy
1. Un conte africain relatif à l’origine
de la mort
Comme je collectais de ci de là des informa
tions mettant en valeur le symbolisme du chien en
pays mwaba, au nord du Togo, je recueillis un
jour un conte relatif à Torigine de la mort, connu
de plusieurs autres populations de l’aire voltaïque,
et d’un type largement répandu dans toute l’Afri
que noire. A l’époque, la justification plutôt
enfantine qu’il donnait d’un fait aussi grave me
portait plutôt à sourire. Je n’en compris qu’au
bout de plusieurs années la haute valeur instructi
ve.
Le voici tel qu’il me fut raconté par un vieux
chasseur appartenant à la famille du chef de village
de Bijanga:
Dans l’ancien temps, comme ils venaient d’être envoyés
sur terre et que leurs conditions d’existence n’y étaient
pas encore définitivement fixées, les hommes se réuni
rent et convinrent de faire appel à la chèvre et au chien
pour aller présenter leurs requêtes à Yqdu (le Dieu-
Soleil créateur).
Ils ne purent cependant se mettre d’accord. Les uns
souhaitaient ne pas être soumis à la mort; ils demandè
rent à ce qu’en cas de mort la personne ressuscite ou soit
Albert de Surgy, Diplômes de Psychologie sociale et de
Psychologie appliquée (Paris 1957); - enquêtes de caractère
socio-économique au centre de la Côte d'ivoire sur les
mouvements migratoires entre les pays de savane et les régions
forestières; puis, le long du littoral (entre le Libéria et le
Nigéria), sur les migrations et l'organisation du travail des
principales populations de pêcheurs; - Doctorat d'ethnologie
sur «La pêche maritime traditionnelle à l'ancienne Côte de
Guinée» (1969); enquêtes sur les pratiques religieuses des
populations évhé (ewe) qu'il fréquentait; - Doctorat es-lettres
sur «La géomancie et le culte d'Afa chez les Evhé du littoral»
(1974); depuis 1977, il se rend à l'extrême nord du Togo
analyser la divination à laquelle se réfèrent les chefs de famille
mwaba (moba) et gurma; - de Surgy est chargé de recherches
au C.N.R.S. (Paris), il est membre du laboratoire «Systèmes
de pensée d'Afrique noire», associé à l'Ecole Pratique des
Hautes Etudes (section des sciences religieuses).
aussitôt renvoyée sur terre. Les autres étaient séduits par
l’aventure de la mort; ils demandèrent à ce qu’une fois
morte toute personne le restât pour de bon.
Les premiers chargèrent l’animal qui leur était le plus
familier, le chien, d’aller transmettre leur message. Les
seconds en furent réduits à charger la chèvre du leur.
La chèvre était un animal beaucoup moins rapide et
beaucoup moins dévoué pour l’homme que le chien. En
outre, les adversaires de la mort, jugeant qu’elle trans
portait un trop mauvais message pour eux, lui brisèrent
une patte dans l’espoir qu’elle ne puisse même pas
arriver au but.
Alors que le chien partit à vive allure, elle s’éloigna
péniblement en boitillant.
Le chien pourtant rencontra bientôt sur sa route une
femme qui chauffait quelque chose dans une marmite.
Espérant qu’il s’agissait là d’un plat de nourriture dont il
aurait sa part, il se coucha sur place et attendit, pour
continuer, d’avoir eu à manger.
Or il attendit si longtemps, jusqu’à la fin de l’après-midi,
le repas que les travailleurs prirent en revenant des
champs que la chèvre, ayant trouvé sans problème à se
nourrir d’herbe et de feuillage tout au long de sa route, le
dépassa, et, malgré sa patte brisée, arriva chez Yqdu le
soir même, la première.
Le Créateur prit connaissance de la requête dont elle
était porteuse; et, n’y voyant pour sa part aucun
inconvénient, décida d’y agréer.
Quand le chien se présenta à son tour chez le Créateur, il
le trouva déjà couché et ne put l’aborder que le
lendemain, au moment où il sortait pour aller à son
travail. Le Créateur lui répliqua qu’il était pressé et avait
déjà reçu, la veille au soir, sur le même sujet, une requête
des hommes. Il avait eu tout le temps de l’examiner et ce
n’était pas le moment d’en discuter à nouveau. Sa
décision avait été prise et il n’en changerait pas. Il refusa
de recevoir le chien et le renvoya d’où il venait.
Voilà pourquoi, quand les hommes meurent, ils meu
rent pour de bon et ne reviennent plus. Et voilà aussi
pourquoi, mécontents du chien, les hommes n’hésitent
pas à le tuer pour l’offrir en sacrifice.
2. Nature et utilité de la mort
Pour nous mettre en état de tirer de ce conte
l’enseignement qui y figure, rappelons que la