Anthropos 92.1997: 21-34 Religion et politique en Afrique noire Claude Rivière Abstract. - The relations between religion and politics are examined on the basis of several case studies to assess the mutual and varied attitudes according to churches and states, times and countries: collusion, forbearance, tactical agreement, refusal to compromise, opposition. Current history points out the progression of Islam which imposes its own institutions, the role of Christianity as a matrix of modernity, and the participation of new churches in development, while political ideologies and rites disappear. In every state, a strong religious mobilization produces organizational inventions, a growth of piety, associative and charitable movements. In a deeply religious Africa, the actual changes reveal the seduction of the Book (Bible, Qur’an), the need for authenticity and inculturation, pluralism of allegiance, and an adoption of democracy as everywhere, while beliefs and practices of traditional religions are declining. [Africa, Christianity, Islam, politics, prophets] Claude Rivière, durant huit années passées en Afrique, a été doyen de Faculté en Guinée et chef de département à l’Université du Togo. Nommé en Sorbonne en 1968, il est professeur à l’Université de Paris V. Il a dirigé le Laboratoire d’ethnologie de son université et le Centre de Recherches Africaines. Ses intérêts actuels sont indiqués par ses derniers ouvrages: Les liturgies politiques (1988), Nouvelles idoles, nouveaux cultes (1990), Les rites profanes (1995), Introduction à l’anthropologie (1995). Que les rapports entre religion et politique aient déjà suscité de valeureuses recherches ne signifie pas que tout soit dit sur le problème, ni que des champs géographiques divers entraînent les mêmes réponses, ni que les relations entre les deux instances religion et politique, dans les dernières années, répètent ce qui se passait il y a trente ou soixante ans, ni que les sociologues des religions aient la même perception des phénomènes que les anthropologues ou les clercs. Reconnaissons à G. Mensching d’avoir par mi les premiers axé sa “Sociologie religieuse” (1951) sur cette question, mais sa documentation était empruntée à l’histoire plutôt ancienne et son traitement tendait vers la taxinomie. Depuis, les problématiques se sont enrichies et les terrains diversifiés. Notre originalité en ce qui concerne l’Afrique noire tient certes au contexte géogra phique mais aussi au regard porté par des socio logues du religieux et non par des politistes, des théologiens ou des historiens. En nous focalisant sur les relations religion- politique, nous supposons qu’il s’agit de deux forces distinctes, ce qui n’est pas toujours le cas dans l’Afrique traditionnelle dont nous nous abstiendrons de parler (parce qu’en déliquescence et peu explicative du présent), afin de ne considérer les religions que dans le cadre des nouveaux rapports de force dans des Etats indépendants. Là, malgré des interdépendances, des échanges ou des antagonismes, la religion et la politique ne sont pas solubles l’une dans l’autre, même s’il existe des transferts plus ou moins simulés dans le culte de l’Etat ou dans les liturgies poli tiques commémoratives, que nous excluons de notre propos. En laissant de côté les interférences vécues entre religion et politique dans la vie des citoyens, nous examinerons seulement les rapports entre les confessions et les Etats. Les religions nous appa raissant comme des éléments plus stables et plus cohérents que les Etats, nous construirons notre ar gumentation dans la dernière partie en fonction du découpage, islam, christianisme, Eglises nouvel les, correspondant à des spécialisations de longue date chez les chercheurs. La religion progressant quelle que soit la politique des pays africains, nous chercherons à éviter une surinterprétation politique des faits religieux. Le spectre des attitudes allant de la collusion entre Etat et religion, jusqu’au con flit, en passant par la tolérance ou l’indifférence, n’est qu’un schéma intellectuel d’analyse et de typologie peu applicable étant donné la diversité des cas dans le temps, dans l’espace, selon les gouvernements et selon les religions, d’autant que l’Afrique est un continent de plus de cinquante Etats, à l’histoire courte, mais diversifiés en tant qu’indépendants.