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Claude Rivière
Anthropos 92.1997
1 Les influences réciproques de la religion
et de la politique
1.1 Action de la religion sur la politique
L’influence du facteur religieux sur la vie politique
en Afrique noire, depuis l’après Seconde Guerre
mondiale, on la saisit à travers la participation
différentielle des religions à la lutte nationaliste, à
leur aide à l’unification nationale, au façonnement
des institutions politiques, au développement sco
laire, sanitaire et social. Le pouvoir politique,
quant à lui, a pu exploiter à son profit des sen
timents religieux en terre d’islam notamment, en
se présentant comme défenseur de la foi (Sou
dan, Mauritanie). Il a pu camoufler ses projets
politiques sous un vocabulaire et des valeurs à
teinte religieuse (Tanzanie), se servir des forces
religieuses comme instruments de modernisation
(Cameroun, Togo, Côte-d’Ivoire, Gabon, Zaïre).
Tandis que les animismes d’Afrique noire n’ont
point pris part à la décolonisation par crain
te que l’évolution politique ne bouleverse en
même temps les structures sociales traditionnel
les, l’islam sahélien et d’Afrique orientale, com
me institution, foi et moeurs, a servi de refuge
contre l’intrusion du colonisateur. Si les Eglises
chrétiennes n’ont pas pris en tant que telles une
part active à la lutte nationaliste du moins ne s’y
sont-elles pas opposées, laissant fidèles et mili
tants (des JAC, JOC, JEC entre autres) formés en
leur sein forger le destin de l’Afrique nouvelle.
Elles ont, dès les indépendances, accéléré la pour
suite de trois objectifs: la formation du clergé
autochtone, la nationalisation des structures avec
responsabilisation de l’épiscopat, la modification
des modes d’action évangélisatrice et sociale.
Nulle part le rapport politique-religion n’est
dicté par la tradition dans la mesure où l’Etat est
neuf comme le sont beaucoup d’adhésions aussi
bien à l’islam qu’au catholicisme ou aux Eglises
indépendantes. A la nouveauté du problème, il faut
ajouter sa complexité. Impossible la plupart du
temps de classer une jeune nation ou une religion
dans une typologie d’attitudes mutuelles constan
tes. Un culte peut être en alternance l’instrument
d’un pouvoir ou l’arme d’une contestation comme
l’a souligné H. Desroche (1968). Il se peut même
que la haute Eglise légitime un pouvoir duquel le
peuple indocile se distancie. La plupart du temps,
entre politique et religion se mélangent les atti
tudes d’implication et d’autonomie.
Sauf au Nord Nigeria et à Madagascar, il est rare
que la problématique du politique soit accaparée
par le discours religieux. Au Togo, au Kenya, au
Cameroun, la mobilisation nationaliste n’interfère
pas directement avec le problème des identités
religieuses. Au Tchad, au Soudan, en Ethiopie,
au Libéria, en Ouganda, les clivages entre com
battants correspondent en grande partie à des cli
vages religieux. Au Zaïre, comme en bien d’autres
pays, la religion catholique a miné l’absolutisme
présidentiel en fournissant des lieux d’expression
et d’identité, en offrant le dérivatif du symbolique
pour lutter contre l’emprise étatique formelle. Au
Kenya qui avait voulu supprimer le secret du vote
de 1986 à 1990, la légitimité populaire et l’autorité
morale des diverses Eglises ont permis à celles-ci
d’exprimer les mécontentements populaires que le
politique voulait museler.
Un peu partout, les innovations religieuses agis
sent sur la recomposition de l’espace politique
tout autant qu’économique. Le catholicisme et le
protestantisme continuent d’instiller de nouvelles
valeurs économiques et sociales modernistes.
La plupart des religions de l’Afrique actuelle ne
sont-elles pas d’ailleurs les matrices de la moder
nité étatique parce qu’elles agissent en opérateurs
économiques et parce qu’elles créent des espaces
de liberté au sein d’autoritarismes politiques? On
peut se demander si le relatif redressement de
l’économie ghanéenne sous Jerry Rawlings ne
tiendrait pas en partie à l’effervescence religieuse
du pays.
1.2 Action de la politique sur la religion
Comme la religion travaille sur la société, l’Etat
travaille sur la religion. Il cherche à créer des
réseaux d’alliance avec les autorités religieuses
afin de renforcer sa légitimité. Mais les attitudes
oscillent de la tolérance à l’opposition. En Zam
bie, au Sénégal, en Côte-d’Ivoire, au Cameroun,
au Kenya ..., évêques et imams constituent les
partenaires estimés des hommes politiques et les
régimes sont habiles à coopter des hiérarchies
religieuses au service de leur dessein, ce qui
n’évite pas toute friction à propos d’éducation,
de santé, d’humanitaire. Au Zaïre, le président
Mobutu inquiéta les catholiques qui refusaient son
absolutisme et par contre officialisa en 1971 le
kimbanguisme qui le soutenait. En Guinée et au
Mozambique, Sékou Touré et Samora Machel
surveillèrent étroitement et réprimèrent les ten
dances des Eglises chrétiennes à critiquer le
régime.
Parfois, aux essais de captation de la religion
par le pouvoir, des groupes religieux répondent
par un refus d’engagement. Des incidents se sont