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Berichte und Kommentare
Anthropos 92.1997
Les lekobe reviennent parfois parmi les vivants,
de manière invisible, probablement pour choisir
la personne chez qui ils reprendront vie. Ainsi,
surtout aux grandes funérailles, les jeunes gens
et les jeunes filles rivalisent de beauté, certes
pour obtenir les regards de l’autre sexe, mais
aussi pour plaire aux lekobe, pour que ceux-ci les
trouvant beaux, se réincarnent en eux. Aussi, en
ces occasions, on multiplie les relations intimes
dans l’espoir d’obtenir des enfants.
Les Toussian croient-ils vraiment à une
réincarnation des morts?
1) Ce que dit le Père Tempels (1949: 74-76)
à propos de la croyance en la réincarnation en
Afrique: “Lorsque les noirs parlent des morts qui
reviennent et qui renaissent, ils ne parlent pas
de métempsychose, ... ce n’est pas un ancêtre
qui renaît au sens propre du terme, mais l’enfant
se trouve sous l’influence vitale, sous l’influence
ontologique d’un aïeul déterminé ...”
Cette théorie du Père Tempels s’appuie sur
une seule preuve, mais qui semble convaincante:
un aïeul ne peut renaître en même temps dans
plusieurs personnes de la tribu, aussi chez les
Bantou, il ne peut s’agir de renaissance, mais
d’influence. Cette théorie est séduisante pour un
cartésien, elle semble plus logique que celle de
la réincarnation, et nous croyons volontiers que
le Père Tempels a raison pour les Bantou. En
revanche, elle ne semble pas être applicable aux
Toussian: pour ces derniers, la totalité du principe
vital 13 du prédécesseur passe dans le “réincarné”.
2) Ce que disent les Toussian: En pays toussian,
on considère que toutes les âmes renaissent un
jour ou l’autre; il semble bien qu’il s’agisse d’une
véritable métempsychose et non d’une simple in
fluence vitale. En effet, celui qui renaît réapparaît,
selon les vieux, avec le même mirriki, et pour
ceux qui distinguent les deux principes, avec le
même lekam\ seul le corps est différent suite à
l’intervention directe de Dieu. Il y a donc bien le
même moi. Cette reviviscence ne se produit pas
une, deux, ou trois fois, mais perpétuellement. Le
retour s’effectue après un séjour au lekokul d’une
durée variable, parfois très courte. Pour les Tous
sian, les constituants spirituels du mort ne peuvent
revenir que dans une seule personne à la fois.
Certains vieux pensent que quelques lekobe, qui
ont été trop malheureux sur terre, préfèrent rester
13 II en serait de même chez les Kouroumba. Voir Griaule et
Dieterlen 1942: 10.
au lekokul. Ceux-ci ont dit avant de mourir qu’ils
ne voulaient plus revenir: mauvaise humeur de
sentimentaux ulcérés par les épreuves terrestres!
Mais, selon la plupart des vieux, ils reviendront
quand même au bout d’un certain temps.
Si les représentations de la personne sont par
fois un peu floues chez certains informateurs, prin
cipalement au sujet du mirriki et du lekam, il
y a en revanche unanimité sur la réincarnation.
Voici quelques indices attestant du consensus à ce
sujet.
Tout d’abord citons le chant des funérailles (F4)
qui s’intitule Pi pépia dubi tahlo, “le riche qui
enfante de beaux enfants”.
Couplet 2: Ma ku, me po dubi tah mè kô te o,
me ni wé nwo, “si je meurs que je revienne naître
chez un riche comme lui, afin d’avoir de l’eau à
boire”. 14
Couplet 3: N duema tahlo, n duema mè ni wè
nwo, “achète-moi, ô riche, achète-moi, pour que
j’aie de l’eau à boire”.
Couplet 5: N duema nalo, n due mè ni wè nwo,
“achète-moi, sa mère, pour que j’aie de l’eau à
boire”.
Il existe encore beaucoup d’autres couplets dans
le même sens ainsi que de nombreux chants parlant
de la reviviscence. 15
Dès la naissance d’un bébé on va chez le
devin, le troisième jour pour un garçon et le
quatrième pour une fille, afin de savoir quelle
âme est revenue en lui. En général, on identifie
un des défunts récents de la famille. Si tous les
ancêtres proches sont déjà réincarnés, on attribue
le retour à un étranger à la parenté ou même à
14 Expression signifiant que l’on a tout ce qu’il faut.
15 Ce chant F4 a été enregistré au magnétophone, ainsi que
les deux autres dont nous allons donner des extraits. F2
intitulé M mirriki ye m pe, “Dieu créateur”. Couplet 1: V
mirriki ye mpe o, i ye nke mpo; n mô mô ketô ye pe nne, i ye
nkè mpo, “C’est mon Dieu qui m’a fait ainsi, je pars et je
reviendrai; c’est mon modeleur Ketô qui m’a fait, je pars et
je reviendrai”. Couplet 4: Yaviza Liyele mè pe nîe, i ye nkè
mpo, “C’est Dieu l’incompréhensible qui m’a fait cela, je
pars et je reviendrai”. Couplet 5: Yaviza Liyele ye pe e nevi
??le [les ?? correspondent à 2 lettres illisible]; Liyele me
nviri, i ye nkè mpo, “C’est Dieu l’incompréhensible qui m’a
fait un homme; Dieu m’a changé, je pars et je reviendrai”-
F3 intitulé Liyele ye mpe, “Dieu Créateur”. Couplet 9: I y e
nkè mpo, Ketô mô le, ye ke posé Ketô mmo me ne a moko
kè nâ kâ ? “Que je parte et que je revienne, il me faut aller
et revenir comme cela, à qui en voudrais-je?” Couplet 10:
Mah kè se tuge wè, me kè nse po dubi, mah se tugelo me ke
mpopi pollè, “Si le jugement est en ma faveur, je renaîtrai;
mais si il est en ma défaveur, je ne reviendrai pas” (sens:
à la mort, si le défunt juge bon l’environnement où il était,
il renaît, mais s’il le juge mauvais, il ne veut plus revenir)-