362
Claude Rivière
Anthropos 69. 1974
Dans l’almamiat du Fouta Djalon fondé après la guerre sainte [jihad)
du XVIII e siècle, la position des groupes claniques se définit historiquement
par rapport au pouvoir politique. Si donc le pouvoir politique est prioritaire
analytiquement par rapport au système lignager, on peut penser que des chan
gements politiques entraînent plus rapidement des changements dans la stra
tification sociale que dans le cas où le système politique épouse les lignes de
clivage de la hiérarchie lignagère territoriale et dépend d’elle comme dans
l’organisation sociale malinké.
I. Les rapports de domination-subordination au Fouta Djalon
D’emblée se révèle à l’observateur le caractère foncièrement inégalitaire
des sociétés de l’aire culturelle soudanaise. Dans la société peule du Fouta
Djalon, chaque strate sociale est dépositaire de statuts institutionnalisés pm
des coutumiers vécus délimitant à chacune ses droits et ses obligations. Les
hommes libres [rimbe, sing. dimmo) se distinguent politiquement, économique
ment et culturellement des gens de condition servile [dijaahe, sing. dijaado)
aussi bien que des artisans castés [neehuhe, sing. neeno) en état de marginali
sation politique, mais supérieurs aux esclaves. A l’intérieur même des strates,
le compartimentage social est accusé par des distinctions hiérarchiques. Ainsi
parmi les hommes libres, les catégories sociales s’étagent selon le rang ascen
dant : non peul, peul bourouré (éleveurs de brousse), peul du commun, mernbi e
d’un lignage aristocratique de chefs. Parmi les gens de caste, les potiers se
situent au bas de l’échelle et les tisserands à l’autre extrémité. Chez les esclaves,
l’esclave de case est supérieur à l’esclave de conquête, lequel peut éventuelle
ment avoir à son service un «esclave d’esclave».
Le terme de système d’ordre, employé par G. Balandier (1967:105), con
viendrait le mieux pour désigner l’ordonnance hiérarchique de ces groupes en
situation relative de domination ou de subordination, à condition que soif
précisé le contenu des rapports existant entre eux. Or jusqu’à présent, ceS
rapports ont été interprétés par référence à des schémas de systématisation
en partie inadéquats. Ainsi a-t-on défini la société peule du Fouta comn 10
étant une féodalité, un régime de castes, un système esclavagiste.
Le système d’ordre dominant inclut en fait des aspects d’autres systèm eS
connus sans que l’on soit en droit d’attribuer au tout les caractères des partie^-
Ainsi montrerons-nous que le concept de féodalité convient mal à des sociét eS
qui pourtant comportent des nobles, des vassaux et tributaires, que l’organ 1
sation lignagère a pour cadre de fonctionnement les clivages de l’organisation
politique qui lui est supérieure et que si s’expriment des rapports de maî tre
à esclave, la nature de ces rapports, le poids démographique des deux group 65,
et le système des droits et devoirs réciproques, interdisent d’assimiler tout I e
régime à ce que les marxistes nomment le mode de production esclavagiste
Enfin, les caractéristiques du système des castes s’appliquent essentielleiuon
aux artisans et aux griots comme nous le prouverons dans le chapitre stir
l’artisanat.