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Wolfgang Zimmer
Anthropos 89.1994
dramaturges en utilisant ces éléments figés de pen
sée et de formulation traditionnelles et collectives
dans le contexte du message actuel de leurs pièces,
dans une facture individuelle et récente, et de nous
demander si ce retour aux formules léguées et
préconçues de l’oralité est compatible avec les
exigences et ambitions de la notion d’originalité
dans la littérature moderne. Elle nous permettra
d’examiner l’utilisation et l’insertion d’éléments
de la tradition orale dans l’écriture, sur scène,
et d’observer un genre de l’oralité qui avait ses
amateurs, son public et sa place comme véhicule
de pensée et de formulation anciennes, dans le
théâtre, ce genre récent à mi-chemin entre l’oral
et l’écrit et à vocation populaire.
Il s’agira donc de dépouiller un corpus donné,
d’y relever les proverbes, de les identifier et les in
terpréter selon la perspective esquissée dans leurs
contextes respectifs, d’analyser les fonctions de
leur emploi et de présenter ensuite les utilisations
et fonctions caractéristiques et représentatives les
plus importantes, tout en les illustrant par quelques
exemples (cf. Dundes 1965: 136 s.). Le dépouille
ment des proverbes, leur reconnaissance dans les
cas où ils ne sont pas signalés comme tels, leur
identification, s’avèrent plus problématiques pour
le Burkina que pour d’autres pays plus homogènes
du point de vue ethnique, linguistique et culturel.
Les difficultés supplémentaires sont:
- l’absence d’un dictionnaire de proverbes natio
nal;
- le grand nombre d’ethnies - 60 pour le Burkina
(cf. Nikiéma 1990: 16 ss.) - d’où un proverbe peut
provenir, un auteur ne se limitant pas forcément
aux proverbes de sa propre ethnie ni même de son
pays;
- le manque de recueils de référence et de collecte
des proverbes pour la plupart des ethnies (cf. la
2 e partie de la “Bibliographie”);
- les nombreuses variantes non enregistrées d’un
même proverbe;
- les différences de qualité dans la traduction des
proverbes burkinabè en français. Rappelons que la
traduction des proverbes avec leur forme concise,
elliptique, rythmée et figée pose plus de problèmes
que celle d’un texte oral normal; 6
- la différence linguistique entre le texte de la
pièce et les langues d’origine des proverbes: un
proverbe, grâce à ses caractéristiques formelles,
étant plus facilement reconnaissable dans sa ver
sion originale qu’en traduction;
6 Cf. à titre d’exemple le travail de Fatimata Mounkaïla, in:
Hama 1988: passim et 5-12.
- le fait qu’à ma connaissance personne ne soit
linguistiquement et culturellement compétent pour
l’ensemble des 60 ethnies.
Il faudra donc, pour déceler tous les proverbes
dans ce corpus, encore plus d’attention qu’il n’en
faut d’habitude pour ce genre de travaux. Mais
étant donné l’état des recherches parémiologiques
pour l’ensemble des ethnies du Burkina, une iden
tification scientifiquement irréprochable des pro
verbes grâce à un recueil national comme base
de référence, comme il est d’usage dans ce genre
d’études, et une distinction nette entre proverbes
et locutions proverbiales lorsqu’on ne dispose que
de traductions, est impossible à l’heure actuelle.
Pour ne pas être obligé de renoncer à mon
entreprise et afin d’apporter une petite garantie
supplémentaire aux vérifications faites dans les
quelques documents dont nous disposons (cf. la
2 e partie de la “Bibliographie”), j’ai fait vérifier
chaque proverbe par les plus qualifiés en parémio-
logie de mes étudiants burkinabè. 7
Pour donner une idée des dimensions et de
la fréquence de l’utilisation des proverbes, ici
quelques statistiques qui détromperont ceux qui
partagent les idées sur le théâtre africain d’un
collègue camerounais: “Dans la plupart des pièces,
il est de tradition que l’acteur se maquille en petit
vieillard asthmatique et déguenillé appuyé sur une
canne et débitant interminablement des proverbes
en petit nègre.” 8
L’étude se base sur l’analyse d’un corpus de 65
pièces burkinabè dont 36, soit 55 %, contiennent
des proverbes. 9 Leur nombre varie entre 1 et 13 par
pièce, avec une moyenne de trois ou quatre. Parmi
l’ensemble des 133 proverbes 32 sont d’origine
française.
Après ces informations théoriques et statis
tiques, venons-en à quelques exemples concrets.
Les proverbes utilisés dans les pièces de théâtre
sont à considérer comme des “phraséologismes”:
des phrases complètes, toutes faites, séparées, se
distinguant du contexte par l’image et le style,
formules fixes, indépendantes des paroles et du
style de la personne qui les emploie et donnant
parfois l’impression d’être des corps étrangers: le
personnage ne parle pas avec ses propres paroles,
ne communique pas une opinion personnelle, mais
7 Je remercie tout particulièrement Léonard Ouédraogo, Ami-
nata N’Deye Seck et Abdoulaye Zono.
8 Kume Talé, “Visage du théâtre africain.” Objectif n° 1,
novembre 1979: 42; cité d’après Obama 1982: 188.
9 Les indications bibliographiques sur l’ensemble de ces
pièces figurent dans Zimmer 1992 et, comme extrait, dans
la l ère partie de la “Bibliographie”.